Le grand hold-up sur nos pensions
14/06/2018
Travailler jusqu’à 4 ans plus longtemps pour une pension moins élevée. Et travailler jusqu’à 7 ans de plus pour une pension identique à celle d’aujourd’hui à 56 ans. C’est, en synthèse, la situation dans laquelle nous évoluerons à terme avec la réforme de mise à la retraite des militaires. Travailler plus longtemps ne débouchera pas sur une pension plus élevée, mais sur une pension moins élevée. C’est inacceptable pour le syndicat militaire ACMP-CGPM.
Marc T. a rejoint la Défense en septembre 2010, à l’âge de 20 ans, en tant que candidat sous-officier. Il est actuellement premier sergent et sert comme adjoint de peloton dans un bataillon de manœuvre de la Composante Terre. Marc est tip top sur le plan physique et médical. L’armée est son rêve depuis l’enfance. Franchir la porte de la caserne, le matin, le remplit de fierté. Il considère sa mission à l’étranger, au Mali, comme le point culminant temporaire de sa carrière. Mais il a également pu engranger beaucoup de satisfaction et de fierté d’avoir pris part à l’opération Vigilant Guardian. Et il attend déjà ardemment le déploiement planifié à Mazar-i-Sharif, en Afghanistan.
Marc est, cependant, vraiment furieux vis-à-vis du gouvernement – et c’est un euphémisme. En application du régime actuel de mise à la retraite, il pourrait prendre sa retraite le 1er octobre 2046 à l’âge de 56 ans comme adjudant. Son montant mensuel net de pension s’élèverait à 1.833,30 €* à ce moment-là. Si la réforme de mise à la retraite actuellement sur la table devait entrer en vigueur, Marc ne pourrait toutefois prendre sa retraite qu’à l’âge de 60 ans. Quatre ans plus tard, donc et ce, même avec la reconnaissance de la pénibilité de la profession militaire. En outre, il recevrait 42,62 € net en moins par mois par rapport à ce qu’il aurait perçu à ses 56 ans. Bien que Marc doive travailler quatre ans de plus, il devrait céder environ 511 ,00 € net par an. S’il devait avoir la chance de pouvoir vivre 20 ans de plus après la date de sa mise à la retraite, la saignée totale s’élèverait à plus de 10.200,00 €.
Une belle voiture de classe moyenne en moins
Un autre membre, Philippe, est tout aussi en colère que Marc depuis que nous avons calculé l’impact de la réforme de sa mise à la retraite. Philippe est premier-matelot à la Marine. Il est entré en 2015. En supposant qu’il prenne sa retraite comme premier quartier-maître-chef (premier caporal-chef), il devra travailler 5,5 années de plus qu’aujourd’hui, à savoir jusqu’à 61,5 ans. Et cela pour obtenir le même montant de pension qu’il recevrait avec le régime actuel à ses 56 ans. Supposons qu’après de nombreuses années de service passées à bord, Philippe décide de quitter l’armée à ses 60 ans – c’est l’âge le plus précoce possible après l’entrée en vigueur de la réforme de mise à la retraite – alors il recevra 83,30 €* nets mensuels en moins sur sa pension. Ce qui correspond, sur une base annuelle, à une perte de 1.000,00 € exactement. Si Philippe vivait aussi longtemps que le Belge moyen, il perdrait la coquette somme de 20.000,00 € avec la réforme de mise à la retraite. Autrement dit : le montant d’une belle voiture de classe moyenne et ce, en dépit du fait qu’il aura dû travailler quatre ans de plus.
Oubliez la rénovation de votre maison
Cela deviendra pire ! Le ministre Vandeput veut recruter massivement de nombreux jeunes dans les années à venir. Chaque candidat militaire qui sera recruté dans le cadre de ce plan, par exemple en 2020, que ce soit comme volontaire, sous-officier ou officier, devra travailler près de 6 ans de plus après l’entrée en vigueur de la réforme de mise à la retraite. À savoir jusqu’à 61 ans et 10 mois. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il recevra la même pension que ce que prévoit l’actuel régime à ses 56 ans. Si ces (futurs) militaires veulent prendre leur retraite le plus tôt possible (donc à 60 ans), la perte financière pour eux sera la suivante :
Grade à la pension |
Perte nette mensuelle de pension* |
Perte nette annuelle de pension |
Perte sur 20 ans |
1er Caporal-chef |
107,76 € |
1.293,12 € |
25.862 € |
Adjudant-chef |
128,68 € |
1.544,16 € |
30.883 € |
Major |
223,88 € |
2.686,56 € |
53.731 € |
Celui qui nourrit l’espoir de rénover (une partie de) sa maison après sa retraite, devra y réfléchir à deux fois dans le futur. Ou, s’il caresse le rêve de posséder une jolie décapotable à la retraite, cela s’avérera aussi beaucoup plus difficile...
Quelques vérités
Il est vrai que les individus nés en 1976 ou avant peuvent prendre leur retraite à 58 ans avec cette réforme. De plus, il n’y aura pas d’impact sur le montant de leur pension. Il est également vrai que les militaires âgés aujourd’hui de 50 ans ou plus et qui ont suffisamment d’années de carrière continueront d’être préservés des conséquences de cette réforme.
Mais il est tout aussi vrai que le groupe des militaires nés entre 1976 et 1986 devra travailler quatre ans de plus et que lesdits militaires ne bénéficieront en conséquence que du même montant de pension que ce que prévoit l’actuel régime à ses 56 ans.
Il est en outre vrai que ceux qui sont nés en 1987 ou après, ou les militaires qui rejoindront la Défense dans le futur, ne pourront jamais prendre leur retraite avant leurs 60 ans et ce, pour un montant de pension inférieur à ce que prévoit l’actuel régime à leurs 56 ans. S’ils souhaitent percevoir le même montant de pension que ce qui est prévu à ce jour, ils doivent tous travailler de cinq à sept ans de plus.
Il est également vrai que des mesures transitoires sont prévues pour le groupe cible spécifique du personnel aérien navigant. Pourtant, à terme, les pilotes devront aussi rester au travail jusqu’à 60 ans ou plus. Ce qui est de la folie d’un point de vue opérationnel.
Finalement, il est également vrai que la Défense pourra probablement faire passer la pilule en avançant le moment où il pourra être possible de cesser de travailler. Avec ce qui est connu actuellement, il peut être envisagé que l’un des âges de mise à la retraite susmentionnés pourrait descendre d’une année encore. Mais il est tout aussi vrai que cela ne compense que partiellement la véritable débâcle.
On rit carrément à la face des militaires
Malgré la (possible) reconnaissance de la pénibilité du métier, une fois que le nouveau système sera en régime, les militaires ne pourront prendre leur retraite, au plus tôt, quatre ans plus tard qu’auparavant. Et ce, pour un montant de pension inférieur à ce qu’ils reçoivent avec le système actuel. Ce n’est que lorsqu’ils auront travaillé pendant au moins cinq ans de plus qu’ils pourront bénéficier du même montant de pension qu’ils recevraient à l’âge de 56 ans avec les dispositions actuelles
Les dispositions transitoires sont, il est vrai, relativement favorables pour ceux qui ont 42 ans ou plus aujourd’hui. Mais, pour ceux qui sont aujourd’hui âgés de moins de 42 ans, l’augmentation de l’âge de la mise à la retraite sera, dans de nombreux cas, également de quatre ans et, nota bene, pour le même montant de pension. Et les plus jeunes d’entre eux vont même y perdre.
Ce n’est pas seulement se moquer des militaires, c’est même se payer leur tête ! Et ce, carrément à leur face...
Et ceci, malgré les belles déclarations du ministre Bacquelaine (MR) et de Gwendolyn Rutten (Open Vld) selon lesquelles « personne ne perdra de pension ».
En sus, les conséquences pour l’organisation qu’est la Défense elle-même, ne sont également pas négligeables. En effet, comment peut-on s’attendre à ce qu’un militaire de plus de 60 ans ait encore les capacités physiques, médicales et mentales requises ? Allons-nous veiller à les « occuper » dans les unités opérationnelles ? Parce que de nombreuses fonctions de fin de carrière n’existeront plus après l'externalisation de tous les services d’appui.
Personne ne va perdre de sa pension ? Balivernes !
Le gouvernement déclare donc : comme militaire, vous pouvez prendre votre retraite plus tôt car vous exercez un métier pénible, mais alors avec une pension moins élevée. De cette façon, le militaire paie lui-même son départ anticipé. C’est tout de même hallucinant !
Si le militaire continue à travailler plus longtemps, le gouvernement donne en retour à l'État une partie du montant de pension plus élevé qu’il espérait et ce, en raison de la limite du montant de la pension maximale qui est plafonnée à 75% du traitement de référence. Ce « bonus de pénibilité » créé par le gouvernement « entend récompenser l’effort fourni par le fonctionnaire qui continue à travailler » alors que ce même gouvernement récupère partiellement le même bonus dans le même mouvement. Il n’y a qu’un mot pour cela : de la duperie. C’est vraiment jouer avec les pieds des gens.
Le ministre Bacquelaine a twitté le 28 janvier 2018 : « Travailler plus pour gagner moins ? Non, pour gagner plus ! » (un montant supérieur de pension). Nous en testons ici l’hypothèse. Les militaires qui sont entrés à l’armée en 2015, à l’âge de 20 ans, pourront prendre leur retraite à 60 ans, mais le montant de leur pension évoluera comme suit :
Grade à la pension |
Perte nette mensuelle de pension * |
Perte nette annuelle de pension |
1er Caporal-chef |
83,30 € |
999,60 € |
Adjudant |
95,42 € |
1.145,04 € |
Adjudant-chef |
114,27 € |
1.371,24 € |
Major |
186,99 € |
2.243,88 € |
Les chiffres parlent d’eux-mêmes...
Ce n’est que si les personnes concernées travaillent plus longtemps – dans certains cas, jusqu’à 7 ans de plus – qu’elles pourraient percevoir la même pension que ce qui est prévu actuellement.
Cette réforme de la mise à la retraite n’est en fait, ni plus ni moins, qu’une opération d’épargne gouvernementale brutale menée sur le dos du personnel. « Travailler plus longtemps pour garantir la pension » : telle était la promesse cruciale du gouvernement ; un accord du type « en échange de quoi » tout le monde en profite. Pour les militaires, cela peut difficilement être longtemps encore de mise. Le gouvernement rompt ainsi son contrat social avec la communauté militaire. Après le démantèlement de l’armée mené au cours des deux dernières décennies, le gouvernement met fin progressivement à son devoir de diligence envers les militaires. À savoir : la reconnaissance des années de dévouement au service de la société, avec un risque potentiel pour sa propre vie, au moyen d’un régime de fin de carrière juste, sera jetée par-dessus bord.
Il est indéniable que notre régime de mise à la retraite est une condition de travail importante pour attirer du personnel compétent et qualifié. C’est un instrument avec lequel la Défense peut se profiler comme un employeur attrayant. D’un coup de pied, le gouvernement expédie tout cela. Et qui plus est, au cours d’une période de « war for talent » et d’un besoin complémentaire important en recrutement. À cet égard, voici une expression appropriée : scier la branche sur laquelle on est assis.
Notre point de vue
Nous sommes maintenant arrivés à la fin des négociations dans le dossier de la mise à la retraite. Il est temps d’établir le bilan après un long processus qui a débuté, en octobre 2016, par l’annonce brusque du gouvernement visant à augmenter considérablement notre âge de mise à la retraite. Ce fut un travail de longue haleine et les textes complexes présentés à la négociation ont nécessité une étude approfondie dans tous leurs les détails.
Comme nous l’avions promis dans nos communications passées, nous avons toujours voulu vous informer d’une façon transparente, précise et complète. C’est aussi le cas aujourd’hui, maintenant que nous avons déterminé notre position. Cela s’est produit après une analyse complète et aussi large que possible de tous les aspects de cette réforme de la mise à la retraite. Après quoi le dossier a été soumis à nos instances internes compétentes pour déterminer une position syndicale à la fin d’un cycle de négociations.
Sur la base de cette analyse approfondie et des larges discussions internes, l’ACMP-CGPM dit clairement « NON » à cette proposition de réforme de la mise à la retraite.
Nous étions pourtant prêts à accepter une augmentation de l’âge de la mise à la retraite comparable à celle de tous les autres Belges. Nous étions et sommes même prêts à faire un effort supplémentaire dans ce domaine.
Mais une telle augmentation aussi brutale de l’âge de la retraite, accompagnée également d’une forte réduction du montant de la pension, est dès lors inacceptable pour nous. Parce qu’elle est impossible à réaliser et indigeste pour les militaires, mais aussi parce que c’est impossible à mettre en œuvre pour l’organisation qu’est la Défense.
Nous rejetons donc aussi un tel hold-up sur les pensions des militaires.
* Dans tous les cas pris en considération, nous avons calculé le montant net de la pension sur base de la situation suivante : le militaire concerné a rejoint la Défense à l’âge de 20 ans et il est, au moment de sa mise à la retraite, isolé ou marié (avec des revenus) sans (encore) aucun enfant à charge.