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Lettre d'une épouse de militaire

07/03/2018

À la veille de la Journée internationale de la Femme, nous avons reçu la lettre (voir ci-dessous) de l'épouse d’un militaire. C’est le cri du cœur d’une femme qui a autrefois été fière que son époux soit militaire, mais qui est aujourd’hui déçue du fonctionnement de l’armée et du commandement militaire. Elle en décrit d’une manière très reconnaissable les conséquences douloureuses pour sa vie de famille.

Dans son message de Nouvel An, le Général Compernol déclarait : « Chaque militaire doit avoir conscience qu’il participe activement au recrutement lorsqu’il évoque son métier dans son entourage ou sur les réseaux sociaux. Tout n’est pas rose. Il y a beaucoup de choses à rectifier mais nous y œuvrons quotidiennement. La tendance se focalise sur les problèmes. Or, et sans être naïf pour autant, on peut également communiquer sur les aspects positifs de notre département. N’oublions pas que nous sommes tous des ambassadeurs de la Défense. »

Le syndicat militaire ACMP-CGPM souscrit à cette position du CHOD. Mais, trop souvent, nous constatons également qu’entre les bonnes intentions émanant des hautes autorités de la Défense et la réalité sur le terrain, il y a un large et profond fossé. La lettre ci-après de la conjointe d’un militaire témoigne de cette immense différence. Elle était destinée à l’ACMP-CGPM. 

Comme le CHOD le dit, « il y a beaucoup de choses à rectifier mais nous y œuvrons quotidiennement. », mais malheureusement cela est peu ou pas du tout perceptible dans les unités, de sorte que ce genre de message perd de sa crédibilité. Et, à la suite de quoi, des mots tels que « résolument positif » sonnent très creux non seulement auprès de nombreux militaires, mais aussi chez leurs partenaires, comme cette lettre le révèle.

 

Madame, Monsieur,

Je suis l’épouse d’un militaire. Nous sommes ensemble depuis cinq ans, dont deux années en étant mariés. Souvent, nous plaisantons en nous disant « physiquement ensemble pendant seulement un an et demi ». On peut en rire, mais finalement c’est navrant et des balivernes du genre « tu le savais dès le début », j’en ai aussi marre de les entendre. Oui, j’aurais pu le savoir avant de débuter une relation avec lui, mais je ne choisis pas pour qui je craque. À l’époque, tout n’était pas aussi grave qu’aujourd’hui et je suis en colère. Et déçue. Déçue des hauts cadres de « l’armée » (qui normalement doivent prendre soin de leurs gens) et du gouvernement (mais qui n’est pas déçu aujourd’hui de ces hommes ?). Personnellement, je pense qu’il arrive rarement que vous receviez une lettre d’une partenaire de militaire, mais il est grand temps que nous puissions une fois avoir notre mot à dire.

Mon mari a plus de 37 ans et fait toujours partie des troupes de combat. Il était vraiment très fier d’être militaire quand je l’ai rencontré. Je n’avais jamais entendu parler une personne de son travail comme le faisait mon mari. Cependant, je dois hélas constater que cette fierté a pratiquement disparu. Beaucoup d’hommes jettent l’éponge ou sont à ce point si démotivés qu’ils restent « malades » à la maison. Lui-même a également pensé démissionner, mais comme nous devons terminer de payer une maison et qu’il exerce toujours ce métier depuis 18 ans (!!), il est difficile d’envisager de faire autre chose.

Apparemment, en haut, il semble qu’investir décemment dans les troupes au sol ne soit pas possible. La communication est laborieuse, les ordres changent cinq minutes avant une deadline via un email ou la communication est tout simplement inexistante, de sorte que beaucoup de choses tombent à l’eau et alors nous voyons un(e) conjoint(e) revenir frustré(e) à la maison (nous, car c’est au nom de tous les partenaires de militaires).

On se tait aussi énormément sur les nombreux militaires qui abandonnent et partent. Pourquoi ? Les nouvelles recrues comprennent rapidement où elles sont tombées et quittent. Ou sont-ils/elles trop naïfs/naïves pour le voir.

Est-il normal que trois compagnies soient fusionnées pour pouvoir pallier toute la pénurie de personnel ? En conséquence, les hommes/femmes sont encore plus hors de leur domicile qu'ils/elles ne le sont déjà. Et je m’abstiens encore de dire quelque chose à propos du traitement et du futur régime de retraite.

Mon mari apprend aussi que lui et ses collègues doivent parler positivement de leur travail car ils ont besoin de nouvelles recrues. Mais il n’arrive tout simplement plus à être positif. Et s’ils doivent dire à l’ensemble des militaires qu’ils doivent être positifs, alors je pense qu’il y a une personne qui sait que cela va mal. Quand on demande aux militaires s’ils sont heureux de leur travail et des choses dans ce genre, la réponse est toujours positive. Pourquoi ? Parce qu'ils ont peur !

Ce que je trouve aussi très triste et qui me met en colère, c’est lorsqu’un militaire « se plaint » et que des civils s’emportent immédiatement en disant : « C’était leur choix et ils ne doivent pas se plaindre, car si c’était la guerre, il en serait aussi ainsi ». Je pense que c’est grâce à ces hommes et ces femmes qui ont choisi d'être militaires, que ceux qui se plaignent peuvent s’asseoir bien au chaud derrière leur écran d’ordinateur et voir leur femme/mari et leur(s) enfant(s) chaque soir. Leur vie sociale se déroule comme ils le souhaitent et ils peuvent partir en vacances trois fois par an sans avoir à tenir compte d’un système de garde ou d’une menace terroriste.

Parce qu’il semble aussi qu'il n’y ait pas d’autres unités pour exécuter l’opération Vigilant Guardian, mon mari, en cinq années de vie commune, n’a été présent à la maison que deux fois pour le Nouvel An. Il a aussi une fille qu'il ne voit qu’une semaine sur deux. Quand elle dit : « Papa, mais quand es-tu à la maison ? », mon cœur se brise. Et pas seulement le mien, mais certainement aussi celui de mon mari.

Les militaires ne doivent plus être flexibles. Non, ils doivent être aussi liquides que le gaz dans une bouteille. Personne ne peut continuer à tenir ainsi. Les familles non plus. Nous pouvons avoir un plan A, un plan B, un plan C et un plan D. Et nous pouvons changer de plans plusieurs fois, mais, si à la fin nous devons également disposer d’un plan K pour finalement devoir mettre en œuvre le plan B, croyez-moi, je suis sur le point d’exploser. Nous devons également être en mesure de trouver un équilibre avec nos propres obligations professionnelles, comme les grands congés. Il avait d’abord été dit que mon mari et ses collègues auraient eu leurs grands congés en août. J’ai alors introduit une demande de congé à mon employeur pour le mois d’août. Ainsi, je voyais au moins mon mari quand je me réveillais. Cette semaine, il me dit que son grand congé peut encore changer. Mon employeur va rire quand il l’apprendra... C’est la même chose avec les vacances de Pâques. Normalement, mon mari devrait être à la maison la semaine où sa fille est avec nous. Maintenant, cela pourrait peut-être ne pas se dérouler ainsi. Je dois aussi travailler et elle a besoin d'être prise en charge. Qui va régler cela ? S'il devait quand même être à la maison, j’ai prévu un endroit où elle peut être prise en charge, sinon nous aurons à subir une pénalité. Mais c’était aussi une belle opportunité pour eux de passer du temps ensemble, puisqu’il vient tout juste de rentrer d’une mission à l’étranger.

Beaucoup d’officiers et de sous-officiers ne pensent aussi qu’à leur propre petite place et aux statistiques qu’ils doivent atteindre. Ainsi, ils sont administrativement en ordre et la prochaine « étoile » est dans la poche. Un « merci » n’arrive jamais et les volontaires continuent à payer les pots cassés alors que les militaires, qui œuvrent depuis déjà aussi longtemps que mon mari, savent parfois mieux ce qui se passe sur le lieu de travail que ceux qui viennent directement des bancs de l’école.

Je sais aussi que cela ne sera pas vraiment lu et que cela tombera dans l’oreille d’un sourd, mais je dois pouvoir l’exprimer à quelqu’un. Mon mari se plaint auprès de moi parce qu’il ne peut être entendu nulle part ailleurs et je l’écris d’initiative. Nous savons également que vous, en tant que syndicat, faites tout ce qui est possible pour les militaires, mais il y a quand même encore beaucoup de frustrations. Ce qui est toutefois dommage, car, personnellement, je suis convaincue que le travail de militaire peut être un travail formidable pour lequel on peut être fier.

C’est consciemment que je n’utilise pas le nom ou le grade de mon mari, parce que je ne veux pas qu’il ait, de ce fait, des problèmes.

Cordialement,

 

La partenaire déçue d’un militaire

 

Le nom de l’intéressée est connu du Secrétariat permanent de l’ACMP-CGPM.

 
 
 
 

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